Les jeux dans l’AntiquitéINVIDA PVNCTA
JVBENT FELICE
AVDERE DOCTVM
L’originePour Platon c'est le dieu Thot qui inventa les jeux et les dés [1, 2] : il s’agissait de tromper la vigilance de la Lune pendant 5 jours pour que la déesse Nout puisse accoucher d’Osiris, Haroësi, Seth, Isis et Nephthys [2]. Ces 5 jours sont des jours épagomènes [2]. Ce sont les 5 jours qu’il faut ajouter au calendrier si on considère que dans une année on compte12 mois de 30 jours comme dans l’Antiquité. L’année complète est donc : (12 x 30)+ 5 jours.
Plutarque décrit le jeu pratiqué par Thot (ou Hermès) comme un tric trac, mais il s’agit d’une dénomination commune pour des jeux de société où s’oppose 2 partenaires qui acceptent les mêmes règles et avec un matériel approprié (dés et plateau) [2] au 1er siècle ap. J.-C.
L'ingénieux Palamède , fils de Naupliaus et Clyménée (petite fille de Minos) reste cependant pour les Grecs l'inventeur des jeux de dés et des jeux de société (comme la pettie) [2] afin d'occuper les Achéens [1, 3] pendant la guerre de Troie. Hérodote pensent que ce sont les Lydiens affamés [1, 2] devant Troie qui inventèrent les jeux afin de tromper leur faim. A propos de Troie, de nombreuses amphores, kyathos… grecs datés entre le Vème siècle et le Ier siècle av. J.-C. représentent Palamède et Thersites jouant au jeu des 5 lignes. Ces 2 personnages de la guerre de Troie sont ensuite remplacés par Ajax le grand et Achille [2].
Au delà de la tradition gréco-romaine, les premiers artefacts humains identifiés par les archéologues comme des jeux apparaissent au Néolithique [5, 6]. Ce sont des jeux de plateau (des tables de pierre creusées de trous qui évoquent les mancalas), découverts près de Aïn-Ghazal ou Beidha (Jordanie) par exemple et datés d'environ 7 000 ans av. J.-C. [5]. Ces premières traces archéologiques sont donc contemporaines de grands changements dans la vie humaine : sédentarisation, apparitions de l'élevage et de l'agriculture...
Les deux origines principales citées pour expliquer la naissance des jeux de société sont : une origine divinatoire / des pratiques magiques ou un besoin de sociabilisation / intégration des hommes [2, 5, 6, 7].
Concernant les pratiques magiques, dés et osselets sont souvent associés à des tentatives humaines pour comprendre la volonté divine [6]. Ces procédés de divination correspondent exclusivement à un tirage au sort (pas d’astres, ni de Pythies, ni de présages pris en compte) [2]. C’est la cléromancie [2]. A tire d’exemple, les Grecs et les Romains consultent respectivement Tyché et Fortuna avec des osselets [2]. Palamède aurait fait consacrer ses dés à Argos, dans le temple de Tyché (plus tard devenu temple de Jupiter Néméen) [2]. Junon (appelée Moneta) est régulièrement consultée sur des sujets graves à pile ou face [2]. De plus, des plateaux de jeu de 20 cases, datés de -1 300 av. J.-C., en forme de foie ont été retrouvés au Moyen-Orient [6].
D’une manière générale, de nombreux jeux ont dû exister depuis le Néolithique mais peu ont laissé de traces [7, 8] : transmission orale des règles, tracés à même la terre des plateaux...[8]. Par exemple, une seule règle antique d’osselets est connue, celle de l’empereur Auguste (« le coup de vénus ») [8] alors que le matériel archéologique est très répandu. On peut noter qu’il semble que les règles des jeux de dés chez les romains s’annoncent oralement avant le début d’une partie [7]. Pour les jeux de plateau, l’archéologue ne dispose que du matériel exhumé des fouilles. Dans ces conditions l’archéologue à peu de chance de reconstituer les règles [2, 7]. A titre d’exemple, quels pourrait être les règles et les objectifs associés à la découverte d’un damier [2] ? Quel pourrait être le déplacement des pions [2] ? Enfin, il faut signaler que les jeux se transforment et les règles s’adaptent au fur et à mesure de leur diffusion [6].
Les jeux de société sont très populaires chez les Egyptiens (jeu du Senet et jeu du Mehen, 2 jeux de parcours et de blocage) et au pays de Sumer (jeu de la tombe royale d’Ur). Les premiers jeux de ce genre sont datés entre-3 000 et -4 000 ans av. J.-C. A titre d’exemple, un mehen a été identifié parmi les objets retrouvés dans les fouilles du village Néolithique de Nagada (Egypte) ou dans la tombe de Aha (2ème roi de la 1ère dynastie égyptienne, vers -3000 av. J.-C.) [2]. Les pièces du jeux sont des boules et des lionnes [2]. On en connaît des exemplaires à Chypre et en Crête à partir de -2 000 ans av. J.-C. [2, 6, 7].
Ce sont des jeux à part entière : rien ne permet plus de les rattacher à une pratique divinatoire ou à un aspect de la vie humaines (semailles…) [2]. On est ici face à l’acte de naissance du jeu de société : plateau transportable pour jouer et pions associés [2].
Les jeux égyptiens et sumériens sont assez connus car ils sont associés à une abondante iconographie et correspondent à de nombreux artefacts archéologiques [7].
A l’opposé, les jeux d’origine grecque et, dans une moindre mesure, romaine sont peu, voire pas, connus [7]. Les jeux sont mentionnés par Homère dans l’illiade et l’Odyssée [1,2] vers le VIIIème siècle av. J.-C. Les prétendants de Pénélope, par exemple, jouent sur des peaux de taureaux (le plateau de jeu ?) avec des jetons (jeu du « pessos » ?) [2]. Il faut remarquer qu’Homère ne connaît pas de nom pour désigner les dés cubiques qui existent en Egypte depuis au moins depuis 1500 ans [2]. Les dés cubiques les plus anciens proviennent de l’Indus et sont datés vers -2300 ans av.J.-C. [2]. Les dés des périodes antérieures sont à 4 faces [2].
De la Grèce du IVème siècle, 3 jeux de parcours et d’affrontement nous sont connus : les jeux de dés (et plus tard le XII scripta), la pettie et le jeu de la ville [2]. Les jeux de dés (ou kuboï) sont des jeux où le hasard s’exprime en parallèle de la nécessité de s’adapter aux circonstances [2] comme le XII scripta.
Les jeux de plateaux romainsConcernant les jeux d’origine romaine, ils semblent dériver en grande partie des jeux grecs [7] (par exemple le Pente grammai dérivé de la pettie ou encore les latroncules dérivés du jeu de la ville [2]) mais certains proviennent de Gaule, d’Egypte ou de Perse [8]. On retrouve des allusions à ces jeux dans les textes classiques (Macrobe, Martial, Ovide, Sénèque, Suétone). Il semblerait que l’empereur Claude (10 – 54 ap. J.-C.) ait également écrit un traité sur les jeux. Cependant la plupart de ces textes classiques ont disparu (Suétone, Claude…) [7]. On retrouve essentiellement des traces à même le sol (en pierre) de plateaux de jeu [6, 7]. On note cependant que peu de tables de jeux gréco-romains avec des plateaux gravés dessus, comme on l’observe sur des poteries, des fresques ou bas-reliefs ont été retrouvés par les archéologues [6].
La plupart des jeux de plateau romains correspondent à des jeux à 2, de parcours et/ou de stratégie où il faut affaiblir et détruire l’adversaire [7].
Toutes les catégories sociales jouent [6, 7]: personnages puissants comme les empereurs Auguste et Claude [7] et les plus humbles. Jouer est cependant réservé aux hommes. Jouer est aussi le signe d’une situation politique et économique stable pour Rome et les Romains [9]. La popularisation et la propagation de ces jeux passent par les légionnaires dans tout l’empire [7, 8].
Les Romains jouent à l’extérieur de chez eux, dans les espaces publics : forums, basiliques, colonnades de temples, stades, théâtres, cirques, tavernes et thermes [8, 9]. Les marbres des gradins supérieurs (réservés à la plèbe) du cirque et les sols de certaines salles des thermes d’Hadrien de la cité d’Aphrodisias en Turquie sont d’ailleurs célèbres pour leurs plateaux de jeu gravés [9]. Au IIIIème siècle ap. J.-C., à la fin de l’empire, des forts de légionnaires possèdent également leur salle de jeu [9].
Tous ces lieux sont publics. En effet, à de rares exceptions comme à Ephèse ou dans la villa de Vallon en Suisse, aucun jeu n’a été trouvé dans des maisons particulières [10]. Dans cette dernière villa datée entre le I et le IIIème siècle ap. J.-C., des astragales (os de mouton pour osselets ou dés), des pions pour des jeux comme les latroncules, des billes ont été retrouvés [10]. Un plateau de XII scripta est visible sous le portique central [10]. A Pompéi, seuls quelques dés et pions ont été dégagés des fouilles des villas [8].
Identification des jeux : la marelle ronde et la marelle tripleL’archéologue allemand C. Blumein a décrit en 1918 une forme arrondie, divisée en quadrants et gravée dans le sol à côté d’un autre jeu comme le XII scripta [7, 11]. Ce jeu est également gravé sur des surfaces verticales [11]. Plusieurs hypothèses ont été proposées comme celle d’une marelle circulaire [7, 11]. La règle proposée ne fonctionne pas [11, 12]. En revanche, cela pourrait être un jeu encore inconnu (mais proche du jeu médiéval « franc carreaux ») [11]. Il a été suggéré que cela pourrait être marqueur topographique [7, 11] ou encore un porte-bonheur ou serait lié à une pratique magique [11].
Comme souvent le matériel de divination est proche du matériel de jeu, l’archéologue est souvent confronté à des problèmes d’identification avec la tentation de comparer à des objets de l’époque actuelle [6, 7]. Un autre exemple illustre cette difficulté d’identification : des marelles triples (voir les règles ci-dessous) sont parfois gravées sur des surfaces verticales, parfois associés à des symboles magiques, à des marques de tailleurs de pierre, des symboles chrétiens et quelques fois se retrouvent clairement dans un contexte ludique [12]. A cela s’ajoute des datations peu fiables [12]. U. Schädler en conclut que les romains ne connaissaient peut-être pas ce jeu même s’ils pratiquaient la marelle simple [12].
[1] L. Becq de Fouquières, Les jeux des anciens, éditions C. Reinwald, Paris, 1869.
[2] Jean-Marie Lhôte, Histoire des jeux de société, Flammarion, Paris, 1994.
[3] S. Tarroux, Art du jeu, jeu dans l’art de Babylone à l’occident médiéval, catalogue de l’exposition, éditions de la réunion des musées nationaux, Grand Palais, Paris, 2012, p.24.
[4] Virgile, L’Enéide, Ink Book édition, Paris, 2012, traduction par A. Bellessort.
[5] I. Finkel, Art du jeu, jeu dans l’art de Babylone à l’occident médiéval, catalogue de l’exposition, éditions de la réunion des musées nationaux, Grand Palais, Paris, 2012, p.16
[6] I. Bardiès-Fronty et A.-E. Dunn-Vaturi, Art du jeu, jeu dans l’art de Babylone à l’occident médiéval, catalogue de l’exposition, éditions de la réunion des musées nationaux, Grand Palais, Paris, 2012, p.12
[6] C. BREYER, Jeux et jouets à travers les âges. Histoire et règles de jeux égyptiens, antiques et médiévaux, Bruxelles, éditions Safran, 2010
[8] V. Dasen et U. Schädler, Archéothéma n°31, Jeux et jouets gréco-romains, novembre-décembre 2013, p.6
[9] U. Schädler, Archéothéma n°31, Jeux et jouets gréco-romains, novembre-décembre 2013, p.38
[10] M. E. Fuchs, Archéothéma n°31, Jeux et jouets gréco-romains, novembre-décembre 2013, p.42
[11] U. Schädler, Art du jeu, jeu dans l’art de Babylone à l’occident médiéval, catalogue de l’exposition, éditions de la réunion des musées nationaux, Grand Palais, Paris, 2012, p.20
[12] U. Schädler, Archéothéma n°31, Jeux et jouets gréco-romains, novembre-décembre 2013, p.64